(Les textes publiés sur olivierdeck.fr sont "en cours", publiés "alla prima" puis en reconsidération, corrections permanentes (sujet, orthographe, syntaxe...), ils sont vivants. Ils ne se veulent ni des propositions théoriques, ni des productions définitives. Seulement d'humbles spéculations en ajustement constant, en perpétuel devenir...)
Donc... Le divertissement (ou la fuite), n'est pas une action de lutte directe contre le conflit, mais permet son évitement. Par ce moyen, le plus évident, le plus à notre portée, nous nous en détournons, mais nous n'agissons pas directement contre les causes, par conséquent, le problème est simplement occulté. L'évitement se contente de "mettre la poussière sous le tapis". Il entre en résonance avec la notion de "déplacement" décrite dans la théorie psychanalytique. Serions-nous face à une forme parente du déplacement, réalisé en conscience, qui détournerait notre intérêt vers un objet qui l'accapare et viendrait masquer les tourments, qui eux trouvent leur source dans l'inconscient? Cette prise en charge de la défense par le conscient pourrait expliquer en partie les limites de l'effet obtenu, en portée et dans le temps. Il est toujours risqué de considérer que nous pouvons agir sur l'inconscient au moyen du conscient, lui-même pris en triple tenaille entre l'autorité du surmoi et les influences de l'inconscient contre lesquelles le moi se défend. Pourtant, quoique hasardeuse, c'est bien une voie sur laquelle nous allons essayer de nous aventurer ci-après, au risque d'emprunter des chemins caillouteux ou de nous diriger vers des impasses. Voyons.
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Prenons un exemple simple : je ne me sens pas bien, je sors marcher. Dans un cas favorable, mon angoisse retombe quelque peu. Ah? Serait-il possible d'échapper si facilement à son inconscient? Certes, tout le monde peut l'éprouver, la marche agit sur l'ensemble du fonctionnement du corps et de l'esprit, et peut apporter une sensation de détente par son effet sur les flux, le souffle et la pensée. Les grands philosophes du passé, les péripatéticiens, en connaissaient les effets. Par conséquent, dans un état d'angoisse, nous pouvons facilement aller marcher pour nous "changer les idées", et stimuler en douceur les fonctions du corps et de l'esprit. Nous tentons volontairement de "déplacer" notre attention et nos actes. Le recours est à notre portée, pourquoi nous en passer? Est-ce que, pour autant, nous parvenons par un action consciente à modifier les conditions du conflit ou des raisons qui produisent l'angoisse et dont nous ne savons rien ou pas grand chose, tout cela est caché derrière la barrière du refoulement ? Cela rendrait la psychanalyse elle-même inutile, puisqu'elle soutient que l'apaisement des conflits passe par le levée du refoulement et l'accession de ses éléments au conscient par la parole. "Quand celui qui chemine chante dans l'obscurité, il dénie son anxiété, mais il n'en voit pas plus clair pour autant" écrit Sigmund Freud dans Inhibition, symptôme et angoisse. Alors ce divertissement qui nous occupe ici ne serait-il pas simplement le proche cousin du déni?
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Si je reviens au début de mon explication, nous parlons d'un individu en proie à l'angoisse, c'est à dire dans ce que le philosophe appellerait un état de tristesse. Si les sources de l'angoisse restent le plus souvent, tout ou partie dans l'inconnu de l'être, ses effets eux sont identifiables par le conscient. Nous l'avons vu. Or s'il y a un effet, il y a un force qui le produit. C'est cette force, cette poussée, cette énergie, au service de la souffrance, qui nous intéresse ici. Est-il possible de la délier, tout ou partie, de son objet afin de la mettre au service de la vie? Pourrait-elle m'aider à passer du désarroi à l'apaisement, et de l'apaisement au mieux être? Puisque nous savons que la pulsion est capable de se détacher de son objet pour devenir erratique et se lier avec un autre objet, pouvons tenter de la capter, de lui assigner un destin favorable?
Ces considérations nous rapprochent d'un thème qui est au centre de ma réflexion analytique et même poétique, toujours occupée par les mouvements de l'énergie, et leurs conséquences sur la vie. Freud propose la sublimation parmi les destins des pulsions. Elle est considérée comme un détournement de l'énergie pulsionnelle, une nouvelle orientation de son but, qui aurait pour conséquences le mieux être et le renforcement de l'estime de soi. Il s'agirait d'un mécanisme plus puissant que celui décrit jusqu'ici, que j'ai nommé "divertissement", et qui lui s'apparente au "déplacement" de l'énergie ou au déni, lesquels obtiennent un certain effet bénéfique ne s'inscrivant pas dans la durée et pouvant même entraîner des conséquences néfastes. Bientôt, l'être retombe dans son état douloureux. Ceci est décrit par Didier Anzieu dans son livre "Créer, détruire", à propos de Samuel Beckett qui, ayant entrepris une analyse avec Bion, se plaignit bientôt de la faible tenue des améliorations dans le temps, ce qui engendra une réaction analytique négative. Bion n'était pas encore aguerri, et ce qu'il obtint dans un premier temps devait n'être qu'un "déplacement" de l'énergie et non sa véritable sublimation.
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"Quelque chose qui engage la dimension psychique de la perte et du manque, et répond à l'intériorisation de coordonnées symboliques commande le procès de la sublimation" nous dit le dictionnaire de la psychanalyse de Chemama et Vandermersh. Nous sommes bien loin d'avoir accès aux arcanes de la sublimation, où nous pourrions trouver les formules pour provoquer et employer son mécanisme. D'après les théoriciens, elles semble naître d'une faille et engagée d'emblée dans une logique de réparation. Ce qui m'intéresse ici est la transformation d'une énergie qui semble liée au départ à des éléments délétères, en énergie liée à des éléments construction, de mieux-être. La sublimation peut-elle être stimulée par un "travail" conscient partiel? A tout le moins, comme nous pouvons tenter de reproduire le mécanisme du déplacement, peut-on tenter de reproduire celui de la sublimation?
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Si Freud n'a pas exposé une théorie de la sublimation, il en a distribué des explications au long de son oeuvre. Le processus est décrit comme un détournement de la pulsion de son but sexuel premier, vers un but social. Je reviendrai sur cet aspect social, qui est sous influence de l'époque et du milieu de Freud, et que je vais essayer de ramener à la vie courante actuelle, non celle des grands bourgeois de Vienne il y a plus d'un siècle, mais celle de tout un chacun vivant dans le monde d'aujourd'hui. La notion de sublimation reste ouverte et si la théorie psychanalytique appliquée à la pratique permettait à celle-ci de favoriser chez le patient le processus de sublimation, elle s'avérerait de la première utilité dans l'accession à une vie meilleure.
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Dès lors qu'il s'agit de sublimation, les éléments théoriques s'intriquent et se bousculent. Pour Freud, un "idéal du moi" élevé et vénéré requiert la sublimation, l'orientation de l'énergie à son service. Il peut aider à l'amorcer mais ne peut l'exiger. Freud ouvre ici un champ de réflexion, et nous encourage peut-être à poursuivre de l'avant. Si l'accès à l'inconscient est empêché par les gardiens du refoulement, l'idéal du moi quant à lui est pour partie accessible au conscient, il est possible dans une certaine mesure d'agir sur lui, de tenter de l'influencer. Certes, il ne s'est pas formé consciemment et nous échappe sans doute aussi pour une bonne partie, mais l'être doté d'un idéal du moi et agissant vers lui en connaît les exigences. Il est donc en mesure d'y répondre, ou d'essayer de le satisfaire. Ce qui pourrait bien encourager l'idéal du moi à émettre en retour de l'énergie positive. De l'énergie sublimée. Là, nous allons essayer de trouver un passage.
en attendant... à suivre...
©Olivier Deck
Pour toute information, un rdv d'analyse en présence à Capbreton (40) ou par audio : contact