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Freud
LA POUSSIÈRE SOUS LE TAPIS (III)
Par
Olivier Deck
Le 07/02/2025
Le mécanisme de la sublimation veut que l'énergie première soit détournée de son but et mise au service de l'oeuvre, qui permet à l'artiste ou au savant, dans les cas favorables, de s'acheminer vers la satisfaction, d'accéder à une reconnaissance de lui-même par lui-même et par les autres, et de bénéficier ainsi, en retour, d'un regain d'énergie positive, qui n'a donc aucune raison d'être pour partie refoulée. Le refoulement de l'énergie doit toujours attirer notre attention, et il n'est pas tout à fait exclu que la sublimation elle-même tienne quelque part d'une forme de refoulement, qui serait une forme "positive". Qui dit refoulée ne dit par "perdue". L'énergie ne se perd jamais. Refoulée, elle reste libre de se lier à d'autres objets et peut venir se mêler à des conflits inconscients, comme versant de l'huile sur le feu, ou encore retrouver le chemin de la conscience sous forme d'angoisse, de gêne, de phobie, de trouble... D'autre part, gardons-nous de confondre avec la sublimation tout changement de l'énergie quant à son but. Il est des destins de la pulsion qui peuvent ressembler à s'y méprendre à la sublimation, et n'obtiennent pourtant pas ce regain d'énergie, ce renforcement, cette reconnaissance de soi par soi et par l'Autre. Un peintre, un musicien peut s'épuiser dans son oeuvre, sans en retirer la force de vivre mieux. Il a simplement "déplacé" son énergie. Il lui a trouvé un but, un destin urgent dans laquelle elle a été brûlée, éliminant ainsi la tension qu'elle générait, mais cet emploi n'aura donné aucun avantage, et finalement, quelque soit le résultat, la tension aura été libérée à perte, et ne tardera pas à revenir, faisant du processus du déplacement une noria dans laquelle l'être se trouve retenu par contrainte. Je n'irai pas plus loin sur le déplacement, qui ne concerne pas seulement les actes créatifs. Il est même plus simple à repérer dans d'autres activités. L'exercice physique, nous l'avons vu, par déplacement de la tension psychique vers le corps, est un recours commun dans la société moderne. Ou tout autre action d'apparence névrotique, contrainte, qui agissent comme des soupapes mais n'apportent aucun réconfort durable.
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La sublimation, elle, semblerait produire des bénéfices. Comme un retour sur investissement de l'énergie. Freud prend donc pour paradigme les artistes et les savants qu'il connaît, fréquente, observe et étudie, pour l'expliquer. Il les considère comme bénéficiaires privilégiés de ce mécanisme. Par la satisfaction, la gloire apportées. Dans les cas favorable, elle nourrit et encourage les bienfaits de la relation humaine, dans le travail, les groupes d'intérêt, et d'une certaine façon les réseaux sociaux, etc., en renforçant le moi, le rapprochant de son idéal. Alors, pourquoi ce mécanisme, le seul destin qui produise du bénéfice, en termes d'économie pulsionnelle, serait-il réservé à ces êtres que Freud avait la chance de fréquenter, au point sans doute de manquer d'acuité dans sa considération de tout ce qui n'était pas l'élite? Rendons-lui justice, dans l'un de ses derniers textes il pressent que la psychanalyse portera sans doute véritablement ses fruits par ses applications, en quittant le pur champ médical ou scientifique, pour exister en tant que telle dans le monde "normal". Les applications de la psychanalyse, voici à quoi nous nous employons ici. Souhaitant sincèrement ne rien en trahir.
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Tant de voies seraient à explorer, pour nourrir notre réflexion, que nous aurions tôt fait de dépasser le cadre de la présente entreprise. Alors je choisirai de m'en tenir à celle que je connais le mieux, pour la pratiquer au quotidien "depuis toujours", la voie créative, qu'elle soit artistique pour les gens doués pour l'art, ou tout à fait domestique, commune, à la portée de tous, et sans aucun recours à quelque don céleste ou autre. Parce que la créativité s'offre à tous. À toutes. Il y a en chaque être un artiste qui sommeille, qui souvent s'ignore, et qui pourtant crée. Crée la vie. Crée et, par un travail de mise en conscience et de choix personnels, peut apporter beaucoup de force à l'édification et au maintien de notre bonheur. Je le répète encore une fois : dans les cas favorables. L'histoire des hommes ne manque pas d'exemples de savants ou de génies des arts qui restèrent à l'écart du bonheur, en dépit du succès de leurs entreprises.
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Freud considérait la "capacité" de sublimer comme l'issue la plus favorable à un travail analytique. Je pose volontiers cette considération comme principe de mon approche de la question du bonheur. A la fois le socle de ma réflexion, et but à poursuivre. Une meilleure compréhension de ces mécanismes, et surtout l'incorporation de cette connaissance à la pratique analytique permet d'en améliorer la pertinence et d'en développer certains aspects pratiques, ceux que j'intègre à ma technique, but toujours situé au coeur des réflexions que je mène ici.
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Cette "capacité" de sublimer est-elle disponible pour soutenir l'effort de la personne dans la construction de son propre bonheur? Comment et en quoi s'offre-t-elle aux choix et à la décision de tout un chacun? Puis-je "décider" que je vais sublimer? Cela peut sembler bien naïf, utopique même, et pourtant. Il ne s'agit pas de spéculer à bon compte, en décidant par avance d'une réponse à un questionnement qui servirait quelque conclusion prédéterminée, mais de voir à quelle idée je parviens en confrontant les données théoriques à celles fournies par l'expérience, les exemples pratiques et mes idées forgées par ailleurs. La psychanalyse, si profondément et largement débattue par les théoriciens, se réinvente en chacun de ses acteurs, analysant et analyste, et la culture personnelle de chacun de ces derniers, tout comme leur inconscient, imprègne la technique et oriente le voyage. Plutôt adepte de "l'analyse sans fin", je considère à mon enseigne que l'analyse est un questionnement au long cours sur la vie, sans que cela ne me fasse perdre d'esprit que la personne engagée dans un travail peut poursuivre des buts plus rapprochés, un problème actuel à régler. Si j'accompagne autrui dans l'exploration intérieure, cela ne signifie pas que mon propre questionnement a trouvé une réponse définitive. L'inconscient garde sa part de mystère et plus on atteint des contrées qui semblent les plus reculées, plus de nouvelles perspectives apparaissent, qui invitent à s'aventurer encore davantage, plus loin, plus profondément. La quête continue. L'art que j'évoque ici et celui de la connaissance intime, il ne saurait être ramené à un savoir arrêté, définitif. Il reste vivant au coeur de sa pratique. Donc surprenant, réactif, en progrès continuel.
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©Olivier Deck
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LA POUSSIÈRE SOUS LE TAPIS (II)
Par
Olivier Deck
Le 01/02/2025
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Ces considérations nous rapprochent d'un thème qui est au centre de ma réflexion analytique et même poétique (les deux ne sont jamais très éloignées l'une de l'autre), toujours occupée par les mouvements de l'énergie et leurs effets sur la vie. Dans sa métapsychologie, Freud propose la sublimation parmi les quatre destins des pulsions. Elle est considérée comme une captation de l'énergie pulsionnelle, une nouvelle orientation de son but, qui aurait pour conséquences le mieux être et le renforcement de l'estime de soi. Il s'agirait d'un mécanisme plus puissant que celui décrit jusqu'ici, le "déplacement" de l'énergie, et moins dangereux que le déni, lesquels obtiennent un certain effet bénéfique ne s'inscrivant pas dans la durée et pouvant même entraîner désordres et rebonds préjudiciables. Bientôt, l'être retombe dans son état douloureux. Ceci est décrit par Didier Anzieu dans son livre "Créer, détruire", à propos de Samuel Beckett qui, ayant entrepris une analyse avec Bion, se plaignit bientôt de la faible tenue des améliorations dans le temps, ce qui engendra une réaction analytique négative. Bion n'était pas encore aguerri, et ce qu'il obtint dans un premier temps devait n'être qu'un "déplacement" de l'énergie et non sa véritable sublimation.
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"Quelque chose qui engage la dimension psychique de la perte et du manque, et répond à l'intériorisation de coordonnées symboliques commande le procès de la sublimation" nous dit le dictionnaire de la psychanalyse de Chemama et Vandermersh. Nous sommes bien loin d'avoir accès aux arcanes, où nous pourrions trouver les formules pour provoquer et employer son mécanisme. D'après les théoriciens, elles semble naître d'une faille et engagée d'emblée dans une logique de réparation. Ce qui m'intéresse ici est la transformation d'une énergie qui semble d'emblée liée à des éléments délétères, en énergie liée à des éléments de construction qui peuvent s'employer au chantier du mieux-être. La sublimation peut-elle être stimulée par un "travail" conscient partiel? A tout le moins, comme nous pouvons tenter de reproduire le mécanisme du déplacement, peut-on tenter de reproduire celui de la sublimation?
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Si Freud n'a pas exposé une théorie de la sublimation, il en a distribué des fragments théoriques au long de son oeuvre. Le processus est décrit comme un détournement de la pulsion de son but sexuel premier, vers un but social. Quant à cet aspect social, souvenons-nous qu'il est sous influence de l'époque et du milieu de Freud. Je vais essayer de le transposer à la vie courante actuelle, non celle des grands bourgeois de Vienne il y a plus d'un siècle, mais celle de tout un chacun vivant dans le monde d'aujourd'hui. La notion de sublimation reste ouverte et si la théorie psychanalytique appliquée à la pratique permettait à celle-ci de favoriser chez le patient le processus de sublimation, elle s'avérerait de la première utilité dans l'accession à une vie plus riche et satisfaisante.
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Dès lors qu'il s'agit de sublimation, les éléments théoriques s'intriquent et se bousculent. Pour Freud, un "idéal du moi" élevé et vénéré requiert la sublimation, l'orientation de l'énergie à son service. Il peut aider à l'amorcer mais ne peut l'exiger. Freud ouvre ici un champ de réflexion, et nous encourage peut-être à poursuivre de l'avant. Si l'accès à l'inconscient est empêché par les gardiens du refoulement, l'idéal du moi quant à lui est pour partie accessible au conscient, il est possible dans une certaine mesure d'agir sur lui, de tenter de l'influencer. Certes, il ne s'est pas formé consciemment et nous échappe sans doute aussi pour une bonne partie, mais l'être habité d'un idéal du moi et agissant vers lui en connaît les exigences. Il est donc en mesure d'y répondre, ou d'essayer de le satisfaire. Ce qui pourrait bien encourager l'idéal du moi à émettre en retour de l'énergie positive. De l'énergie sublimée. Là, nous allons essayer de trouver un passage.
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Freud, pour évoquer la sublimation, a recours à l'exemple des artistes, des créateurs, poètes, peintres, et des grands intellectuels... Tout ceux-là s'offrent en modèles pour ce processus intérieur particulier et peut-être bien salvateur, c'est en tout cas ce que je voudrais essayer de mieux comprendre. J'ai expliqué que, comme on le trouve dans les sagesses orientales qui posent que du "Un naît le Deux", je considère l'énergie comme Une, énergie primordiale qui nous anime, nous traverse, nous porte selon ses cycles et ses cadences et se distribue selon ses multiples voies possibles. On peut refuser ce préalable, contester ce principe, et dans ce cas il n'est pas conseiller de me suivre plus avant dans celle balade d'idée en idée. Je pose là un préalable que les astrophysiciens ou les sages taoïstes seraient plus à même que moi d'expliquer, de justifier, de prouver ou d'infirmer, mais je fonde ma réflexion sur cette idée, issue d'un choix que nous laisse les uns et les autres dans leurs démonstrations parfois contradictoires, et je n'ai pas besoin de prouver qu'elle est absolument vraie ou absolument fausse pour aller de l'avant. Je la pose et elle sert de base à tout ce que je pense. Plus de quatre décennies, soit une longue expérience, de pratique et d'enseignement des arts martiaux traditionnels, le Budo, "la voie du combat", n'aura pas suffi à m'apporter la preuve de l'existence de l'énergie universelle, mais elle aura grandement suffi à me permettre d'en éprouver et en étudier les effets et les possibilités offertes. Il n'est pas rare que les situations conflictuelles réelles réverbèrent celles décrites par la théorie freudienne entre les instances psychiques, et celles que l'on rencontre dans la pratique analytique. Sans aller jusqu'à confondre les unes et les autres, je n'ai toutefois eu aucune peine à souscrire à l'affirmation de Marie-France Dispaux qui prétend que la psychanalyse est une "théorie des conflits". Elle relève donc des principes du combat.
à suivre...
©Olivier Deck
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La poussière sous le tapis (I)
LA POUSSIÈRE SOUS LE TAPIS I (analyse)
Par
Olivier Deck
Le 27/01/2025
Lorsque nous sommes accaparés par des pensées liées à des angoisses dont nous connaissons plus ou moins l'origine - parfois pas du tout - nous pouvons essayer de nous "changer les esprits", comme le dit l'expression commune. Chacun connaît cette expérience. Nous tentons de trouver de la joie, au sens le plus large, dans le "divertissement", que ce soit auprès d'un proche, dans un lieu amusant ou étonnant, dans la nouveauté, un livre, une balade, un voyage, la confection d'une tarte aux framboises pour les proches ... Recours plus destructeur, le tabac, l'alcool ou d'autres expédients entrent parfois dans la danse. D'aucun dit alors qu'il "chasse les idées noires." À tout le moins, il essaie. En réalité, nous tentons d'éloigner celles-ci par une sorte de "déplacement" qui devrait nous en détourner, qui est censée nous en mettre à distance, nous en protéger, parfois au prix de la santé ou de la sécurité. L'action dérivative, ou d'évitement, de déplacement, qu'elle soit physique ou intellectuelle, parvient à divertir l'esprit de ses préoccupations, l'énergie trouve un pis-aller pour sa décharge et la tristesse s'estompe, dans le meilleur des cas. Mais combien de temps?
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Les oiseaux noirs qui tournent dans le ciel intérieur sont têtus, ils ne s'éloignent jamais très longtemps lorsqu'on les chasse d'un simple revers de manche. Le ciel intérieur nous appartient, il est en nous, il est constitutif de nous-mêmes, et il faut plus qu'un simple soufflet pour en disperser les nuages. Alors, bientôt, la tristesse revient, l'angoisse remonte, et nous retombons dans l'état redouté, plus étouffant encore, parce que l'espoir d'avoir vaincu l'ombre est déçu, la déception vient donc s'agréger à l'angoisse et la renforce, la crainte de n'avoir aucun moyen de repousser les forces malignes vient en aggraver leur nocivité.
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Angoisse, abattement, crainte diffuse, impatience, sentiment confus de panique, il n'est pas rare, en outre, que le corps émette à son tour les signes du malaise, exprimés par des sensations, des gênes, des douleurs... nous ne pourrions établir la liste infinie des effets d'une mauvaise circulation de l'énergie de vie. Je me tiens à distance d'évoquer les pathologies, affections psychosomatiques ou autres, toutes les conséquences de l'angoisse qui relèvent du domaine médical et de compétences qui ne sont pas les miennes. Libido, souffle vital, ki, prâna, force primordiale... l'énergie porte divers nom selon les cultures. Que chacun la nomme selon la sienne. Quelque part dans les corridors de l'âme, elle est entravée, nouée, mobilisée par un conflit dont, bien souvent, la raison ne sait rien. Sa représentation se dérobe dans l'oubli et sa puissance active, s'évacue en "poussée d'angoisse". Comme souvent, les expressions quotidiennes, employées avec naturel, recèlent des vérités. S'il y a poussée, c'est qu'il y a énergie. Le souffle de vie qui nous porte en avant est mobilisé par un conflit intérieur, totalement ou partiellement inaccessible à la conscience, donc à la pensée, au raisonnement. Nous sommes démunis, face aux dégâts causés par un mal dont nous ne savons rien, comme s'il s'agissait d'un invisible ennemi. Quand le souffle manque, l'être s'affaiblit, ralentit, trébuche, doute, s'essouffle, et peut même finir par s'arrêter d'avancer.
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Or, tant que le conflit perdure dans l'inconscient, il continue d'y mobiliser des forces, privant l'être d'une partie de son énergie vitale. Et le processus de production d'angoisse continue, s'intensifie parfois, mettant en péril le bonheur et la santé. L'angoisse elle-même pourrait être considérée comme un effet dû à une énergie résiduelle produite par le conflit, tournée du côté du malaise et de la destruction. Cette énergie, erratique, opportuniste, détachée de l'objet qui a contribué à la produire, peut même en investir un autre, rencontré ailleurs et activer des élans phobiques. Une araignée? L'obscurité? La foule? À la mesure de cette déperdition la joie, l'allant, la volonté de l'être sont affaiblies.
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Le divertissement (au sens large), s'il a ses vertus, n'est pas une action de lutte directe contre le conflit, mais relève d'une tentative pour lui échapper. Par ce moyen, le plus évident, le plus à notre portée, nous nous en détournons, nous fuyons, mais nous n'agissons pas directement contre les causes, par conséquent, le problème est simplement déplacé, occulté, et non désamorcé. Quand nous avons recours à la fuite, nous nous contentons de "mettre la poussière sous le tapis".
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Venons-en à des considérations qui nous ramènent à l'analyse. Le divertissement dont j'ai parlé plus haut entre en résonance avec la notion de "déplacement" psychanalytique. Je serais tenté de l'ajouter aux quatre destins des pulsions décrites par Freud, ou de le considérer comme une forme affaiblie, coûteuse ou bien partiellement manquée, de la sublimation. Il convient ici ne pas perdre d'esprit la distinction entre un déplacement conscient et un déplacement inconscient. Les textes qui traitent de la sublimation marchent souvent en équilibre sur la frontière entre les deux. Le déplacement peut s'avérer une technique consciente, un recours. Pour prendre un exemple simple, relevant de l'action physique, on peut décider d'aller marcher pour éviter ou atténuer une poussée d'angoisse, sans pour autant modifier l'origine, donc le gisement de celle-ci. Nos actions conscientes sont aussi mues par des injonctions inconscientes, et ne vont pas forcément sur le chemin de la sublimation. Cette dernière, précise Freud, est fonction des dons de l'individu et de son degré de possibilité en la matière. Les écrits de Freud, ou ceux de Jean Laplanche (in : problématique III, la sublimation), laissent à penser que la possibilité d'activer, d'utiliser la sublimation existe pour l'individu, mais elle reste sous conditions de ses capacités naturelles, qui subissent aussi les lois et les affres de la vie et ont pu être renforcées ou affaiblies pas l'aventure existentielle. Serions-nous face à une forme parente du déplacement inconscient, réalisé en conscience, qui détournerait notre intérêt vers un objet qui l'accapare et viendrait masquer les tourments, qui eux trouvent leur source dans l'ombre de l'esprit? Cette prise en charge de la défense par le conscient pourrait expliquer en partie les limites de l'effet obtenu, en portée et dans le temps. Il est toujours risqué, voire illusoire, de considérer que nous pouvons agir sur l'inconscient au moyen du conscient, lui-même pris en tenaille entre l'autorité du surmoi (elle-même partagée sur les deux domaines) et les influences et blocages de l'inconscient contre lequel il se défend. Pourtant, quoique hasardeuse, c'est bien une voie sur laquelle nous allons continuer de nous aventurer ci-après, au risque d'emprunter des chemins caillouteux ou de nous diriger vers des impasses. Voyons.
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Reprenons notre exemple simple : je ne me sens pas bien, je sors marcher. Dans un cas favorable, mon angoisse retombe quelque peu. Ah? Serait-il possible d'échapper si facilement à son inconscient? Certes, tout le monde peut l'éprouver, la marche agit sur l'ensemble du fonctionnement du corps et de l'esprit, et peut apporter une sensation de détente par son effet sur les flux, le souffle et la pensée. Les grands philosophes du passé, les péripatéticiens, en connaissaient les effets. Par conséquent, dans un état d'angoisse, nous pouvons facilement aller marcher pour nous "changer les idées", et stimuler en douceur les fonctions du corps et de l'esprit. Nous tentons volontairement de "déplacer" notre sensation, notre attention et nos actes. Le recours est à notre portée, pourquoi nous en passer? Est-ce que, pour autant, nous parvenons à modifier les conditions du conflit ou des raisons qui produisent l'angoisse et dont nous ne savons rien ou pas grand chose, tout cela restant caché derrière la barrière du refoulement ? Cela rendrait la psychanalyse elle-même inutile, puisqu'elle soutient que l'apaisement des conflits passe par le levée du refoulement et l'accession de ses éléments au conscient par la parole. "Quand celui qui chemine chante dans l'obscurité, il dénie son anxiété, mais il n'en voit pas plus clair pour autant" écrit Sigmund Freud dans Inhibition, symptôme et angoisse. Il adresse sa maxime au philosophe, mais nous pouvons d'une certaine façon la reprendre ici à notre compte. Alors ce divertissement qui nous occupe ne serait-il pas simplement le proche cousin du déni?
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Si je reviens au début de mon questionnement, nous parlons d'un individu en proie à l'angoisse, c'est à dire dans ce que ledit philosophe appellerait un état de tristesse. L'angoisse évoquée est dont l'origine se trouve, tout ou partie, dans l'inconnu de l'être. Son effet seul est identifiable par le conscient. Nous l'avons vu. Or s'il y a un effet, il y a un force qui le produit. C'est cette force, cette poussée, cette énergie, au service de la souffrance, qui nous intéresse ici. Est-il possible de favoriser sa déliaison, tout ou partie, de son objet afin de la mettre au service de la vie? Pourrait-elle m'aider à passer du désarroi à l'apaisement, et de l'apaisement au mieux être? Puisque nous savons que la pulsion est capable de se détacher de son objet pour devenir erratique et se lier ailleurs, pouvons tenter de la capter, de l'influencer, de lui assigner un destin plus favorable?
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à suivre...
©Olivier Deck
Connais-toi toi-même
Par
Olivier Deck
Le 16/01/2025
Vivre poétiquement sa vie, tel que nous y invitent Hölderlin (habiter poétiquement le monde), Rilke (l'impérieuse nécessité poétique) ou plus près de nous Edgard Morin, c'est vivre créativement en toute circonstance, en toute situation, concrète ou abstraite, pratique ou intellectuelle. Disons, du mieux que l'on peut. Il convient de rester humble devant pareil enjeu. Là se pose la question de la connaissance et du choix guidé par la connaissance. Connaissance de quoi?
Connaissance de soi, avant tout. Connaissance de soi comme particule d'un Tout. De la vie individuelle à la vie de famille, sociale, professionnelle. De la solitude à l'amitié, des activités élevées aux plus prosaïques. Pas un domaine n'échappe au bénéfice de la connaissance. De la nature, des mondes connus et des mondes inconnus.
Connaissance de soi, soit, mais à quelle fin? peut-on se demander. À quoi bon cette connaissance? La réponse n'est pas nouvelle, elle est simple. Aller vers la connaissance de soi est le moyen de se donner une chance de vivre plus librement. Là encore, le plus librement possible. De délier en soi les entraves qui empêchent la réalisation de l'être. D'être soi en meilleure connaissance de l'espace, des conditions de sa propre liberté. Vivre au plus près de soi, en tant que soi, et non en tant qu'un autre. Échapper autant que possible aux conditionnements, aux injonctions, aux influences extérieures qui ne poussent pas dans le sens de la juste nature de l'être.
Pour prendre un exemple personnel, et sans le poser comme une généralité, je crois - disons qu'il me semble le comprendre aujourd'hui -, que dès mon plus jeune âge - avant dix ans - je sentais une énergie particulière qui cherchait à se frayer un passage au fond de moi. Bien entendu, aucune pensée ne venait associer des idées capables d'expliquer, ou d'éclairer un tant soit peu, ce qui ressortissait à l'impression, à l'émotion, à l'intuition, à l'élan naturel. Ce que depuis je nomme "l'intuition de soi". Cette intuition poétique que j'ai cherché à canaliser, à diriger dans le sens de la construction, sans aucune volonté particulière de ma part. Comme l'eau suit la pente. Cette force intime, mystérieuse, insue, m'a poussé vers une vie de créateur pluridisciplinaire, protéïforme - écrivain, photographe, peintre, chanteur... à la fois comme si je me cherchais (ce que pensaient les autres à mon endroit ) et comme si tout s'exprimait à la fois parce que la force était elle-même multiple, et poursuivait un même destin. J'étais ainsi, non conforme à la norme. Dans ma classe, de l'école primaire au lycée, j'ai toujours été le seul à vouloir vivre en artiste. L'artiste, hors de la norme (sauf à céder à d'autres sirènes) s'avère difficilement lisible par autrui, puisque nous vivons dans un société qui estime l'individu au regard d'une grille de lecture. Un artiste, au fond, ce n'est pas rassurant. On le classe souvent parmi les rêveurs, une manière de le caser quelque part, on sait bien qu'un jour ou l'autre il entrera dans les rangs. Or cette intuition provenait d'une énergie plus profonde, Une et primordiale celle-là. L'énergie fondamentale qu'évoque un Spinoza. Le Chi, le Tao, ki, qi, pranâ, libido... nommons-la comme on voudra... Comme le feu, dont elle est une manifestation première, elle peut éclairer, réchauffer, rassurer, faire rêver ou brûler, aveugler, détruire...
Qu'on ne se méprenne pas, il ne s'agit pas d'une illustration visant à imposer une vision dualiste des choses de ce monde. Le feu est Un. Contre la foudre ou l'incendie, nous ne pouvons rien. Mais éclairer un livre ou mettre le feu à la maison avec une même chandelle, cela relève de notre choix, de notre responsabilité. De notre adresse ou maladresse, aussi... La voie de création de moi-même que j'ai choisie - à moins que je n'y fusse déterminé - est la voie créative elle-même. Il en est d'autres, chacun peut approfondir pour soi le sens d'une éthique personnelle, d'une esthétique, d'une exigence, dans quelque domaine que ce soit.
C'est donc intuitivement, que je me suis lancé sur la voie poétique. Un chemin pavé de réussites et de défaites, de rire et de larmes, dans l'acquisition constante de la connaissance pratique, autodidacte, enrichie et vivifiée par les rencontres, les lectures, la pensée, l'analyse permanente de l'expérience... j'ai progressivement mis des mots sur ce qui m'animait, des mots pour dire cette approche poétique de l'existence, des mots pour évoquer le souffle qui pousse les voiles du monde, pour le meilleur et pour le pire. La créativité, soit l'énergie de création, l'énergie du "faire", s'exprime en toute chose et s'offre à tous les destins.
Depuis le big bang, l'Univers se fait lui-même, sans relâche il advient. Il est le devenir de l'énergie primitive, fondamentale. Energie dont nous sommes une "forme" que les conflits intérieurs entravent ou influencent dans le sens du chaos, de la destruction. La destruction de soi, c'est la destruction du monde. Et si nous avons le culot de nous aventurer dans les ombres de l'être, ce n'est que pour tenter d'y voir un peu plus clair, d'apaiser les conflits, d'oeuvrer pour la clarté. L'amour et la haine ne s'opposent pas, ils sont pris dans un cycle d'engendrement mutuel qui demande d'être compris, à tout le moins senti, pour que sa dynamique serve la vie.
La psychanalyse m'a permis d'explorer plus profondément la nuit de mon âme. Et de faire venir à ma conscience les mots pour dire les choses enfouies. Exprimer un affect, c'est comme faire apparaître une image. Dès lors qu'un élément vient à la conscience, et à la dynamique de l'esprit, il offre un abord, une prise, un accès. Et l'être devient davantage capable non seulement d'apaiser les conflits qui le déchirent, mais aussi d'employer à des fins plus heureuse la force dont il dispose. Celle de la Nature. Et tout cela passe par les mots. La parole...
Pour en savoir plus sur mon approche psychanalytique, rendez-vous ici