Nous l'avons vu, il est important de garder à l'esprit que la sublimation est en partie consciente, en partie inconsciente, en cela étroitement liée aux notions de formation réactionnelle, de perversion, de manque, de faille... Mais la présente réflexion ne s'intéresse pas en premier lieu à ces éléments inconscients, qui restent inaccessibles et difficilement disponibles à une réflexion ouverte, je laisse cet aspect à l'effort analytique censé les ramener à la lumière et enrichir le rapport conscient à la sublimation. Leur découverte, leur connaissance viendront s'agréger à une meilleure connaissance de soi, et participeront d'un meilleur ajustement de l'être à lui-même, harmonie indispensable à un épanouissement personnel et à l'établissement d'une véritable poétique de vie. Il m'est impossible d'aborder la sublimation dans toutes ses dimensions à la fois, ceci relèverait d'une ambition théorique hors du présent propos et de mes possibilités. Les points de théorie ne manque pas, sur ce sujet, dans les livres de psychanalyse. Souvenons-nous simplement qu'une part importante de son mécanisme, de son origine, de son sens est enfouie dans l'inconscient et le travail d'analyse permet d'apporter quelque clarté dans ces obscurs parages. Plus nous en savons sur nos propres mystères, moins ceux-ci sont à même de se jouer de notre vie.
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Je voudrais simplement suivre cette intuition qu'il est une façon de penser la sublimation, d'en favoriser le processus, dans le but de récupérer de l'énergie de vie. Récupérer, parce que si l'énergie primordiale est Une, il n'est pas concevable de la produire, elle est en éternel recyclage d'elle-même. Nous parlons ici de la vivifier, de l'animer, de la potentialiser. En sa partie émergée, le mécanisme semble offrir une prise, quand tous les processus inconscients restent inaccessibles. Freud a lié la sublimation au cas des artistes et des savants, c'est à dire des créateurs qu'il fréquentait, se référant à leur brillant statut professionnel, social. Or ne sommes-nous pas toutes et tous les artisans, les artistes, les savants, les poètes de notre propre existence? Le lecteur de ce carnet de notes l'aura compris, je défends - avec respect et admiration pour Gaston Bachelard, Edgard Morin et Holderlin - l'idée que le poétique est inhérent à la vie ordinaire (qui en cela ne l'est jamais vraiment ), qu'il s'offre en tout chose par l'abord que l'on en a, et qu'il revient à l'être lui-même de transformer le plomb du quotidien en or de l'existence. La vie poétique ne connaît pas les heures creuses et même l'ennui, la tristesse, l'épreuve y sont des combustibles. Il est étrange, et cela fera sans doute le sujet d'une autre réflexion, de voir combien le poétique inspire la justesse scientifique, qui le cite souvent en exemple, en dépit de sa liberté eu égard à la raison. Sans doute que les poètes ont une intuition juste, qui se passe de démonstration. Ils agissent avant d'être sûr et leur oeuvre est toujours au profit de la vie. A part les chants de guerre, dont on pourrait discuter la veine poétique, aucune poésie ne vante la destruction du monde. La force trouve dans la Poésie son espace d'expression absolu au service de la vie, puisant à sa force expressive pour produire de la Beauté, soit la face perceptible de l'Amour, soit la force de vie elle-même. Je soulève ici une question à laquelle j'ai personnellement répondu depuis longtemps, en choisissant de vivre ma vie sur un mode poétique, c'est à dire consciemment créatif. Le bonheur n'est pas une simple conséquence de nos déterminations, il nous revient d'y œuvrer. "Faire", comme nous l'avons rappelé, est la première originelle du poète. "Celui qui fait". Sans doute que le mot peut effrayer, ou bien laisser dubitatif. Pourtant nous sommes tous les créateurs de notre destin, dans la part sur laquelle il nous laisse agir. Nous nous pouvons agir sur notre détermination biologique, mais nous pouvons essayer de préserver au mieux notre santé. Nous ne pouvons agir sur les catastrophes naturelles, à tout le moins pouvons-nous essayer de nous en protéger. Le citoyen ordinaire ne saurait agir à grande échelle sur les affaires du monde, les conflits qui déchirent l'humanité. A tout le moins peut-il s'efforcer d'agir sur sa relation à son entourage, qu'il est libre de choisir et avec lequel il peut tisser des relations selon ses propres vues. Chaque vie est une toile vierge, chaque jour une page blanche et si nous ne sommes pas les maîtres absolu dans l'exécution et la réussite de nos desseins, une part de responsabilité nous est offerte par la vie, qui en outre sait nous fournir les moyens de la vivre en créateurs, c'est la fonction même de la vie que de créer la vie, avec ce but étrange, cette issue qui semble toujours fatale si l'on oublie de penser la vie en terme d'énergie fondamentale. Celle qui, lorsqu'elle quitte le vivant, continue sans lui, pour aller s'investir plus loin, ailleurs, autrement, dans une autre destinée.
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Plus nous prenons conscience de l'énergie qui nous traverse, nous meut, nous émeut, nous porte, plus nous acquérons les moyens d'en tirer parti, d'engager notre vie dans des actions qui, au lieu de la laisser simplement se consumer, l'engage dans des actes qui la vivifient, la régénèrent. La subliment. Le mot est là. Sublimation. Ce mécanisme qui n'est pas un simple déplacement et ne se contente pas de glisser la poussière sous le tapis, mais permet de récupérer en retour, comme s'il était capable de la vivifier, de la régénérer tout en l'employant. L'analyse est un chemin de connaissance et d'encouragement de cette tendance intérieure dont, avec Freud, je reste convaincu qu'elle offre une vraie voie de salut en portant au-devant de nous une lumière qui révèle l'essence poétique du vivre.
Je continuerai de creuser l'idée de la sublimation dans un prochain texte, intitulé "La tarte aux framboises". À suivre, donc.
©Olivier Deck
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à lire : La poussière sous... (I) (II) (III)
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